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  Félix Peña

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  September 2012
L'Avenir du Mercosur aprés le sommet de Mendoza

Un débat nécessaire

Tant le Mercosur que l'Union européenne (UE) se trouvent dans une transition complexe vers de nouvelles étapes de leur développement. Dans les deux cas, il est prématuré d'en prédire l'issue. Les résultats sont encore incertains. Mais tout indique qu'ils seront différents que lors des épisodes passés.

Si tout se passe bien, il faudra probablement l'attribuer aux actifs accumulés et aux leçons du passé. Dans le cas contraire, nous pourrions faire face à des scénarios dans lesquels il sera difficile d'exclure l'utilisation du mot " échec " et, partant, la nécessité d'y faire face. La longue histoire des relations entre les nations qui partagent une même région, en particulier l'espace européen, indique que de telles conséquences pourraient être coûteuses.

Au-delà des énormes différences qui distinguent ces deux processus d'intégration, leur histoire et leurs réalités régionales, la bonne nouvelle est qu'ont fait irruption au sein de leurs sociétés respectives des débats, parfois intenses et même tendus, qui reflètent les dilemmes méthodologiques, voire existentiels de la régionalisation. Plus ces discussions seront larges et inclusives, plus la légitimité sociale de leurs résultats sera grande.

Un élément commun à ces débats des deux côtés de l'Atlantique réside dans les doutes croissants quant à la possibilité réelle de maintenir une distinction entre " nous ", les membres de l'Union européenne ou du Mercosur, et " eux ", les pays tiers, distinction qui serait fondée sur une identité commune et ancrée dans les citoyennetés. Tout se passe comme si le " chacun pour soi ", dans toute sa dureté, avait commencé à remplacer l'idée un peu romantique de l'" ensemble jusqu'à la mort ". En Europe en particulier, les citoyens de certains pays ne perçoivent pas les problèmes de leurs partenaires comme les leurs. Ils ne voient pas pourquoi ils devraient assumer les coûts de leur résolution.

Or, même ceux qui semblent les plus frustrés, voire "indignés", par l'adhésion de leur pays au modèle d'intégration régionale, ne parviennent pas à articuler une alternative raisonnable et crédible, qui soit soutenable sur le plan économique et politique. Autrement dit, une alternative dotée d'une légitimité sociale propre aux sociétés pluralistes et démocratiques, et dont les coûts ne sont pas supérieurs aux lacunes qu'elle essaye de corriger dans les processus d'intégration en cours. S'il était vrai que les pays membres, grands ou petits, n'ont pas d'autre alternative raisonnable que l'intégration volontaire avec leurs partenaires actuels, le débat serait dans ce cas limité à la question méthodologique de comment travailler ensemble dans un espace géographique donné, plutôt qu'à la raison existentielle de pourquoi le faire.

Avoir une discussion franche sur les alternatives possibles, combinant des stratégies nationales bien définies et les différents intérêts nationaux en jeu dans le cadre d'un projet stratégique commun, semble être la meilleure approche pour redessiner une nouvelle étape du Mercosur. De même, il faudra s'atteler, comme dans le cas de l'intégration européenne, à réaliser un diagnostic correct quant aux tendances profondes qui opèrent à l'échelle mondiale, en tenant compte du solde des défis et des opportunités qui découlent de la nouvelle géographie du pouvoir et de la concurrence économique mondiale.

La fin d'une étape pour le Mercosur?

Après le Sommet de Mendoza (juin 2012), le Mercosur a commencé sa transition vers une nouvelle étape. Celle initiée et développée au cours des vingt dernières années par les quatre pays fondateurs peut être considérée comme révolue. On peut difficilement pronostiquer combien de temps durera cette transition et vers où elle se dirige. Ce que nous voyons jusqu'à présent a toutes les caractéristiques d'une métamorphose. Comme nous le verrons, il sera important que chacun des pays membres définisse et imagine ce qu'il attend de cette nouvelle phase.

Au-delà de l'inévitable débat sur les dimensions juridiques de la suspension temporaire du Paraguay, comme de l'accession du Venezuela alors que le pays ne répondait pas aux exigences établies par les pays membres eux-mêmes, et en plus des solutions qui réclameront de l'intelligence et de la volonté politique, il sera nécessaire d'aborder la question de la refonte des institutions et la portée de cette nouvelle ère.

Tous les objectifs fixés par l'étape qui se conclut avec le Sommet de Mendoza n'ont certes pas été atteints. Néanmoins, il faut aussi reconnaître que nombre d'évolutions dans le commerce et les interactions économiques entre pays membres sont redevables des engagements assumés dans le Traité d'Asunción. Par ailleurs, l'idée d'une coopération stratégique entre nations voisines, destinée à créer un espace capable de diffuser la paix, la démocratie et la stabilité politique en Amérique du Sud, a bel et bien été consolidée, au-delà des divergences d'intérêts et des asymétries bien connues. De toute évidence, il reste encore beaucoup à faire. Mais on a aussi beaucoup appris et il faudra désormais s'appuyer sur ces connaissances pour mieux s'engager dans cette nouvelle phase qui s'annonce.

Il faut rappeler que le Traité d'Asunción conclut une étape initiée par des accords bilatéraux entre l'Argentine et le Brésil. Le passage d'un stade à l'autre n'avait pas impliqué de revenir sur ce qui avait été accumulé au cours de cette phase initiale bilatérale. Au contraire, et ce n'est pas un détail, les engagements juridiques bilatéraux du Traité de Buenos Aires de 1988 subsistent encore. Les principaux accords commerciaux ont été assimilés via deux instruments opérationnel dans le cadre de la ALADI, l'un bilatéral - l'ACE n°14 - et l'autre entre tous les partenaires du Mercosur - l'ACE n°18. Il convient de noter que l'ACE n°14 a aujourd'hui 39 Protocoles additionnels, pour la plupart signés une fois lancé le processus du Mercosur et relatifs en particulier à un secteur clé de l'intégration régionale, celui de l'automobile. L'ACE n°18 dispose quant à lui de 93 protocoles additionnels. Ceci n'est pas anodin si l'on considère que les engagements commerciaux liés à l'incorporation du Venezuela au Mercosur devront à leur tour être incorporés dans l'ACE n°18, du moins en vertu des règles à ce jour.

Ce qui est clair, c'est qu'au cours de ce second semestre 2012, quelques définitions importantes devront être analysées et finalement adoptées par les partenaires. Le Brésil, en tant que Président pro-tempore du Mercosur, aura l'occasion d'exercer un certain leadership sur ce processus. Sa traditionnelle habileté diplomatique sera mise à l'épreuve.

À cet égard, au moins trois questions prioritaires constitueront l'ordre du jour de cette période de transition. La façon dont elles seront traitées et résolues déterminera probablement l'avenir du Mercosur. Aucun scénario ne peut être exclu, y compris celui dans lequel le Mercosur fondé en 1991 cesserait d'exister.

La première question concerne les multiples effets qui peuvent résulter de la décision de suspendre la participation du Paraguay dans les instances du Mercosur. Cela crée une situation sans précédent dans ce processus d'intégration. Cette suspension exigera beaucoup de prudence et de sagesse. Il s'agit d'un défi à l'art de la politique et de la diplomatie, dans lequel il faudra distinguer ce qui relève du conjoncturel et du permanent, avec un savant mélange de valeurs et d'intérêts. Ce sera d'autant plus difficile à réaliser que le Mercosur se caractérise par une fragilité institutionnelle chronique, malgré les efforts visant à créer des organismes indépendants afin de faciliter la coordination des intérêts nationaux. Dans le cas présent, sont en jeu non seulement des réalités politiques et économiques complexes, avec de multiples connotations juridiques, mais aussi les sensibilités et émotions des citoyens d'un des pays fondateurs du Mercosur. Ce pays a une histoire commune avec ses partenaires, dont résultent de profondes racines et d'innombrables vases communicants.

Le texte qui prévoit la suspension du Paraguay et a été signé par les chefs d'Etat de l'Argentine, du Brésil et de l'Uruguay, invoque le Protocole d'Ushuaia sur " l'Engagement Démocratique au sein du Mercosur " et déclare: " 1. Suspendre la République du Paraguay du droit à participer aux organes du MERCOSUR et aux délibérations, en vertu de l'article 5 du Protocole d'Ushuaia. 2. Pendant cette suspension, ce qui est prévu par le paragraphe iii) de l'article 40 du Protocole d'Ouro Preto se produira avec l'ajout réalisé par l'Argentine, le Brésil et l'Uruguay, dans les termes du paragraphe ii) du présent article. 3. La suspension prendra fin lorsque, selon les dispositions de l'article 7 du Protocole d'Ushuaia, se vérifiera le plein rétablissement de l'ordre démocratique dans la partie affectée. Les ministres des Affaires étrangères se concerteront régulièrement à ce sujet ". Il est à noter qu'il n'y a pas eu de décision du Conseil du Mercosur avec la portée de l'acte juridique adopté en vertu des articles 2, 3, 8 et 9 du Protocole d'Ouro Preto. Selon le texte, la levée de la suspension aura lieu lorsque l'ordre démocratique au Paraguay sera restauré, ce qui fera l'objet de consultations régulières.

La deuxième question prioritaire consiste à compléter, dans toutes ses dimensions, l'incorporation du Venezuela au Mercosur prévue par le Protocole de Caracas (2006). La décision prise à Mendoza d'intégrer le Venezuela au Mercosur est en partie le résultat de ce qui s'est passé avec le Paraguay. En effet, le Protocole de Caracas ne pouvait pas entrer en vigueur sans sa ratification par le Paraguay. À l'époque, l'Exécutif paraguayen avait retiré le texte du Congrès, faisant ainsi comprendre qu'il ne serait pas approuvé. Cette impasse offre un éclairage important sur le climat politique, du moins dans certains des pays membres, autour de la question de l'incorporation du Venezuela au Mercosur.

A Mendoza, les trois chefs d'Etat ont décidé: " 1. L'entrée de la République bolivarienne du Venezuela dans le Mercosur, 2. Convoquer une assemblée extraordinaire en vue de l'acceptation officielle de la République bolivarienne du Venezuela au sein du Mercosur pour le 31 Juillet 2012, dans la ville de Rio de Janeiro, République fédérale du Brésil, et 3. Convoquer tous les pays d'Amérique du Sud à s'unir dans ce contexte international complexe, pour approfondir le processus de croissance et d'inclusion sociale que connaît notre région depuis une décennie, et agir comme facteur de stabilisation économique et sociale dans un environnement de plein exercice de la démocratie sur le continent ".

Suite à la décision de Mendoza d'incorporer le Venezuela sans qu'aient été complétées les dispositions de l'article 12 du Protocole de Caracas, un débat de nature à la fois politique et juridique a surgi au sein des pays membres. Il y a d'abord eu la décision politique d'intégrer le Venezuela au Mercosur. Celle-ci a été formalisée par le Protocole de Caracas, reflétant alors la claire volonté souveraine des cinq pays, exprimée selon les procédures énoncées dans le Traité d'Asunción. S'est ensuite déroulé le processus constitutionnel interne de ratification dans trois des pays membres. Enfin, il y a eu la décision adoptée à Mendoza de procéder à l'incorporation définitive du Venezuela sans la ratification du Protocole de Caracas par le Paraguay. C'est sur ce point précis, sur son opportunité politique et sa solidité juridique, que s'est ouvert un débat parfois intense. Le gouvernement du Paraguay a d'ailleurs porté l'affaire à la Cour Permanente de Révision du Mercosur, laquelle a estimé que la façon dont elle avait été soulevée était inappropriée.

La réunion présidentielle à Brasilia le 31 juillet a officialisé l'intégration du Venezuela au Mercosur. Il faudra désormais observer comment se complète le plein respect des dispositions du Protocole de Caracas concernant l'application par le Venezuela du programme de libéralisation du commerce, y compris la cessation des effets des règles et disciplines de l'ACE n°59 dans le cadre de l'ALADI (articles 5 et 6 du Protocole), puis à l'égard de l'intégration des règles du Mercosur et en particulier la nomenclature tarifaire commune et le Tarif extérieur commun (articles 3 et 4 du Protocole).

Avec la connaissance précise du profil tarifaire résultant de l'intégration complète du Venezuela au Mercosur, chaque pays membre sera davantage en mesure d'en évaluer les effets économiques concrets, en particulier en ce qui concerne la compétitivité des biens et services en provenance des pays du Mercosur par rapport à ceux provenant des pays tiers, comme par exemple les Etats-Unis, l'UE, la Chine ou les pays andins. On saura alors quelle est la valeur ajoutée de l'incorporation du Venezuela par rapport au traitement préférentiel, dans les échanges de biens et services, les investissements et les marchés publics, notamment vis-à-vis de ce qui existe déjà dans l'ACE n°59.

Comme nous l'avons mentionné plus haut, une autre étape sera celle de l'adhésion du Venezuela à l'Accord Partiel n°18, lequel transpose le Traité d'Asunción dans le cadre juridique de l'ALADI. Son importance pratique vient du fait qu'il constitue la base juridique pour l'application entre les membres des préférences issues des engagements pris au sein du Mercosur, sans que celles-ci s'appliquent aux autres pays de l'ALADI. Pour certains des membres du Mercosur, une telle intégration pourrait être fondamentale pour assurer la légalité interne de la libéralisation tarifaire convenue avec le Venezuela. Son article 15 prévoit l'adhésion d'autres membres de l'ALADI par un protocole additionnel à l'ACE n°18.

L'intégration du Venezuela pose la question plus générale des modalités et de la portée de l'incorporation d'autres pays d'Amérique du Sud au sein du Mercosur. La décision de Mendoza a ouvert la voie à l'intégration de l'Équateur. Mais on pourrait aussi s'orienter vers un Mercosur au format sud-américain. Cette dimension a été envisagée par le Traité d'Asunción. Cela souligne en tout cas la nécessité pour le Mercosur, dans sa nouvelle phase, de définir des procédures qui puissent combiner un degré raisonnable de sécurité juridique avec des géométries variables et plusieurs vitesses d'engagements. La possibilité de fusionner le Mercosur avec l'UNASUR a même été mentionnée.

La troisième priorité, enfin, résulte des points soulevés par M. Wen Jiabao, Premier ministre chinois, lors de la vidéoconférence tenue le 25 juin à Buenos Aires avec la participation des Présidents de l'Argentine, du Brésil, et de l'Uruguay. M. Wen Jiabao a suggéré de réaliser une étude de faisabilité pour un accord de libre-échange. Il a également évoqué l'objectif de doubler le commerce bilatéral en quatre ans. A mesure que l'on avancera vers un éventuel accord de libre-échange entre le Mercosur et la Chine, on peut supposer qu'un traité d'une telle ampleur aura un impact sur les négociations commerciales du Mercosur avec d'autres pays et régions. Cela pourrait avoir en particulier un impact sur les négociations UE-Mercosur. En ce qui concerne ces négociations, il faudra encore beaucoup d' " oxygène politique " et de flexibilité conceptuelle et technique pour parvenir à un accord ouvrant sur un processus de long terme et équilibré et ambitieux dans toutes ses étapes.

Conditions pour la conception d'une nouvelle étape du Mercosur

Réfléchir sur les conditions permettant le développement de processus d'intégration régionale tel que les pays membres puissent anticiper des gains mutuels, a aujourd'hui un fort enjeu pratique.

C'est vrai en Europe. Mais c'est aussi le cas en Amérique du Sud. La transition du Mercosur vers un profil institutionnel et des méthodes de travail encore incertains, oblige à s'interroger sur comment tirer profit de l'expérience et des actifs pour que cette nouvelle étape produise des bénéfices tant pour les différents pays que pour les citoyens.

Ce ne sera pas facile. Depuis sa création en 1991, le Mercosur a accumulé des expériences et des biens qui ont une valeur : par exemple, un accès préférentiel relativement garanti aux marchés respectifs et une intégration productive naissante. A certains moments, le Mercosur a même été perçu comme un succès. Mais il a aussi accumulé beaucoup de frustrations. Celles-ci sont le produit de la combinaison d'intérêts nationaux très différents dans le contexte de nombreuses asymétries, en particulier relatives aux tailles des économies respectives.

Il faut cependant reconnaître que ces frustrations peuvent également s'expliquer par une certaine tendance des acteurs à produire des événements médiatiques - décrits sur le moment comme " historiques " par leurs protagonistes respectifs -, qui ont fini par créer l'image d'une " intégration vitrine " (pour reprendre l'expression de " modernisation vitrine " utilisé en son temps par Fernando Fajnzylber, illustre économiste de la CEPAL), où les apparences prédominent sur la réalité. Les frustrations qui en résultent peuvent expliquer l'indifférence, voire le rejet de l'idée d'intégration régionale, de la part de secteurs parfois larges dans certains pays.

La réflexion doit en tout cas tenir compte des profonds changements qui s'opèrent à l'échelle mondiale. Il faut aussi replacer le Mercosur dans le cadre de l'architecture institutionnelle sud-américaine (UNASUR), latino-américaine (ALADI et le SELA) et plus largement de l'espace régional comprenant l'Amérique latine et les Caraïbes (CELAC). Articuler les activités conjointes de coopération qui peuvent être développées à travers la mosaïque des institutions existantes est désormais l'une des priorités que reconnaissent l'ensemble des pays membres. C'est une articulation qui pourrait idéalement évoquer les matrioskas russes, dans le fait de tenir les unes dans les autres, et à la fois de refléter chacune une réalité différente liée à sa dimension.

Il y a plusieurs options pour le design de la nouvelle étape du Mercosur. Comme dans le cas européen, il n'y a pas de formule unique. Une des leçons à tirer de l'expérience acquise ici comme dans d'autres régions est précisément que le costume doit être taillé à la mesure de mensurations bien définies. Comme l'enseignait Jean Monnet à l'époque, il est essentiel de trouver des moyens adaptés à chaque circonstance historique. C'est en cela que réside la bonne combinaison de l'imagination technique et politique.

Une solution pourrait consister à concevoir le Mercosur comme un réseau d'accords bilatéraux et multilatéraux, y compris l'intégration productive sectorielle et multisectorielle, reliés entre eux. Cela nécessiterait des mécanismes souples à géométrie variable et plusieurs vitesses. L'UE elle-même a de l'expérience en la matière. Cela ne signifie pas pour autant négliger l'engagement à construire une union douanière comme une étape vers un espace économique commun. Cela pourrait se faire par des protocoles additionnels au Traité d'Asunción ou par des instruments juridiques parallèles mais non contradictoires. Les accords bilatéraux entre l'Argentine et le Brésil constituent un précédent à considérer. L'intégration centraméricaine pourrait également être un point de référence à cet égard.

Une telle option permettrait d'inclure la possibilité d'assouplir, sous certaines conditions, l'harmonisation d'engagements pris dans le cadre d'accords préférentiels conclus par un ou plusieurs pays membres avec des pays ou régions tiers. Bien sûr, cela impliquerait de convenir d'une discipline collective entre les partenaires du Mercosur, discipline qui pourrait être surveillée et évaluée par un organe technique avec des compétences effectives. Cela n'impliquerait pas forcément de coller au stéréotype installé par le concept équivoque de " supranationalité ". Le rôle de Directeur général de l'OMC pourrait à cet égard être un modèle utile.

Il est important d'avoir à l'esprit que les conditions nécessaires pour la construction d'un espace régional marqué par l'intégration et la coopération, c'est-à-dire le travail commun entre les nations qui la composent, sont nombreuses. Ce sont des conditions qui découlent de certains traits essentiels à ces institutions multinationales : le caractère volontaire de la participation de chaque nation - personne ne peut obliger personne à être membre d'un accord d'intégration - ; la gradualité, en ce sens que les objectifs poursuivis, notamment les plus ambitieux, peuvent prendre beaucoup de temps à être atteints, voire ne le seront jamais complètement ; et l'adaptation à l'évolution continue des circonstances qui ont conduit au moment fondateur.

Mais dans le cas du Mercosur, sous sa forme actuelle et en transition vers une forme encore indéfinie, trois conditions semblent primordiales pour construire une intégration plus robuste et efficace, propre à capter l'intérêt du public grâce à sa capacité à générer des gains mutuels pour chacun des pays participants et en fonction de leur diversité.

Ces conditions sont: la stratégie de développement et d'insertion internationale de chaque pays participant, la qualité des institutions et des règles du jeu, et l'articulation transnationale des capacités productives.

Il serait souhaitable que ces trois conditions soient présentes dans les débats que chaque pays qui souhaite rester membre ou le devenir, devrait encourager pour définir les stratégies et les méthodes de la prochaine étape du Mercosur.

Le travail conjoint entre nations qui partagent un espace géographique régional, en particulier lorsque celui-ci s'exprime au travers d'institutions et d'accords ambitieux et de long terme comme c'est le cas du Mercosur, suppose que chaque pays participant ait une idée claire de ce dont il a besoin et souhaite obtenir en établissant des partenariats avec les autres. Autrement dit, avoir une stratégie de développement et d'insertion internationale, élaborée en fonction de ses propres caractéristiques internes et des objectifs valorisés par sa société. Une telle stratégie ne se limite d'ailleurs pas à la région. Aujourd'hui plus que jamais, les objectifs poursuivis au niveau régional doivent correspondre plus largement à des objectifs de portée mondiale.

La façon d'élaborer une telle stratégie et son contenu dépendra de chaque pays. Le fait est que la construction consensuelle d'une région multinationale, quels que soient ses objectifs, ses modalités et sa portée, se réalise toujours dans un cadre national, en fonction de ce qui compte vraiment pour chaque pays. À cet égard, il a été souligné à juste titre que les pays s'associent au niveau régional non en raison d'hypothétiques rationalités supranationales, mais en fonction de rationalités nationales bien concrètes - parfois pathétiques. C'est la mise en commun des intérêts nationaux autour d'une vision stratégique partagée qui caractérise le travail volontaire entre nations souveraines qui ne sont pas prêtes à cesser de l'être.
Il faudra par conséquent qu'un pays aient l'honnêteté de reconnaître s'il a défini ou non une telle stratégie, et si celle-ci est réaliste ou pas (par exemple s'il a surestimé la valeur de son économie ou sa capacité à négocier avec le reste du monde comme avec ses partenaires), car dans ce cas, il sera difficile que les autres pays tiennent pleinement compte, au-delà de la rhétorique, de ses intérêts. C'est ce qu'exprime crûment Ian Bremmer dans le titre de son dernier ouvrage - " chaque nation pour elle-même " - en ajoutant qu'il y aura " des gagnants et des perdants " (Every Nation for Itself: Winners and Losers in a G-Zero World, Portfolio, Penguin, New York, 2012). Le message à retenir est donc clair: dans un contexte mondial sans puissance dominante - et sans directoire de puissances crédible (G0) - chaque nation doit défendre ses propres intérêts, en sachant clairement ce dont elle a besoin et ce qu'elle peut obtenir, car dans cette transition vers le monde futur, il y aura des gagnants et des perdants. C'est un message qui s'applique à chacun des espaces régionaux. Et notamment à l'Amérique du Sud.

Dans le cas du Mercosur, et alors que la région se trouve à la croisée des chemins, chaque pays membre doit s'interroger sur ses options réelles et non théoriques. Si un pays n'est pas d'accord avec les options du Mercosur et que se présentent à lui des alternatives raisonnables lui permettant de mieux réaliser son insertion régionale et mondiale, alors c'est qu'il a un " plan B " et qu'il vaudrait mieux pour lui de quitter l'aventure commune. C'est ce qu'à fait en son temps le Chili vis-à-vis du Groupe andin, puis en refusant l'invitation à participer en tant que membre à part entière du Mercosur. Le Venezuela en est un autre exemple lorsqu'il a décidé de sortir de la Communauté Andine des Nations. En revanche, si le pays n'a pas de " plan B " raisonnable, tant du point de vue politique qu'économique, il lui faudra réfléchir, en fonction de ses intérêts, à quelle devrait être la portée de la future étape du Mercosur, à la lumière des engagements déjà pris et des options méthodologiques imaginables. Mais cette réflexion sera d'autant plus solide qu'elle reflètera les objectifs définis dans la stratégie nationale de développement (le " plan de la maison " comme la nomme Dani Rodrik dans ses travaux), laquelle devra comprendre une évaluation de ce dont le pays a besoin et ce qu'il peut obtenir dans son environnement régional et mondial.
Une deuxième condition est liée à la qualité des institutions et des règles. Cela inclut à la fois le processus de décision, les règles approuvées, les mécanismes de mise en œuvre des normes et le règlement des différends qui peuvent surgir entre pays membres. Cela comprend les dimensions nationales comme multinationales des institutions du Mercosur. Une fois de plus, on peut dire que la qualité des institutions commence d'abord au niveau national, avant de s'exprimer au niveau multinational - indépendamment de la composition de l'organe concerné et de son système de vote -, et enfin de revenir au niveau national, où est mis en œuvre ou non ce qui a été concerté.

L'intensité de la participation de la société civile de chaque pays membre est un facteur clé pour assurer la qualité des institutions d'un processus d'intégration. Elle exige, à son tour, une culture de la transparence qui se reflète, à l'échelle nationale et multinationale, dans des pages Web de qualité, denses en informations utiles pour la gestion de l'intelligence compétitive de la part de tous les acteurs.

Des règles précaires, dotées d'une faible capacité à être effectives et efficaces, surtout lorsqu'elles sont le résultat de lacunes dans leur processus d'élaboration, ont tendance à miner l'efficacité et la légitimité du processus d'intégration. Elles ne favorisent pas les plus petits pays et ne sont pas prises au sérieux par ceux qui décident des investissements productifs. Dans le Mercosur, l'insécurité juridique et institutionnelle, y compris le manque de transparence et la faible participation de la société civile - les exemples sont nombreux -, sont une cause majeure de la détérioration du processus d'intégration. Peut-être s'agit-il là d'une sorte de virus qui vient de l'expérience d'ALALC en matière d'intégration régionale, et que l'on a retrouvé par la suite dans l'ALADI, où l'on observe souvent la prévalence d'une culture de l'anomie, en ce sens que les règles ne sont respectées que lorsque cela est faisable et que l'information nécessaire pour décider n'est pas facilement accessible. L'histoire de la liste des exceptions mériterait à cet égard d'être reconstruite. Cette culture tend à favoriser au niveau national comme international ceux qui ont relativement plus de puissance.

Concilier la flexibilité et la prévisibilité sera crucial si la prochaine étape du Mercosur vise à inclure d'autres pays d'Amérique du Sud, ce qui augmentera les asymétries et la diversité des intérêts et nécessitera l'utilisation de méthodologies à géométrie variable et à plusieurs vitesses. Sans règles de qualité, de telles méthodologies pourraient accentuer la tendance à la dispersion des efforts et conduire le Mercosur à de nouvelles frustrations.

La troisième condition, enfin, est liée à l'articulation productive au niveau régional. L'intégration productive occupe aujourd'hui une place importante dans l'ordre du jour du Mercosur. Cette question existe en réalité depuis le moment fondateur, lorsqu'a été incorporé le concept d'accords sectoriels et approuvée la décision CMC 03/91. Elle se basait alors sur l'expérience acquise au cours de la période d'intégration bilatérale entre l'Argentine et le Brésil. Ses précédents sont multiples, depuis la fondation de l'intégration européenne jusqu'à ce que fut le Groupe andin.

L'intégration productive au travers de chaînes de valeur transnationales permet de générer des gains mutuels pour les pays participants, et développer ce que Jean Monnet a dénommé à propos de l'intégration européenne la " solidarité de fait ". Elle peut être, en ce sens, un facteur important pour réduire les risques de réversibilité des engagements pris par les pays membres. Ces chaînes de valeur contribuent en effet à lier ensemble les différents systèmes nationaux de production ainsi que leurs acteurs, créant ainsi de fortes incitations à préserver et développer le processus d'intégration multinationale. Cela requiert, dans chacun des pays, des entreprises avec des intérêts offensifs et une capacité de projection à l'échelle internationale.

Ces trois conditions sont étroitement liées. Lorsqu'elles sont toutes remplies, elles permettent d'échafauder une stratégie réaliste de négociations commerciales avec d'autres pays et régions. Sans stratégie nationale, il sera difficile pour un pays de bénéficier des décisions élaborées pour guider le processus d'intégration et en définir les règles. Sans règles du jeu appliquées de manière efficace, il sera difficile de gagner en souplesse et de parvenir à ce que les entreprises réalisent des investissements productifs en fonction d'un marché élargi. Sans ces investissements productifs, en particulier dans le cadre de chaînes de valeur transnationales, il sera difficile de générer les bénéfices stables attendus d'un processus d'intégration, en particulier ceux ayant des effets sur l'emploi et sur l'identification des citoyens avec l'idée de région partagée. Il sera plus difficile encore d'entamer des négociations commerciales internationales favorables au développement et à la transformation de la production de chaque pays de la région.


Félix Peña es Director del Instituto de Comercio Internacional de la Fundación ICBC; Director de la Maestría en Relaciones Comerciales Internacionales de la Universidad Nacional de Tres de Febrero (UNTREF); Miembro del Comité Ejecutivo del Consejo Argentino para las Relaciones Internacionales (CARI). Miembro del Brains Trust del Evian Group. Ampliar trayectoria.

http://www.felixpena.com.ar | info@felixpena.com.ar


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